L'économie chez les peuples de la foret équatoriale
Trois points caractérisent l'économie chez les peuples de la foret équatoriale : la technique agricole, le système alimentaire et les relations avec le monde extérieur
(extrait de l’article de article de Serge Bahuchet, « Un style de vie en voie de mutation »)
L’agriculture sur brulis ou de l’utilisation durable de la forêt
«Dans tous les cas, l'agriculture pratiquée dans les forêts denses humides est une agriculture itinérante, dans la majorité des cas sur brûlis (dans quelques rares cas il n'y a pas brûlis). Chaque année une famille abat des arbres, les laisse sécher puis les brûle pour planter dans les cendres. L'un des facteurs les plus importants est que ces arbres ne sont que coupés, ils ne sont jamais déracinés. Cela veut dire qu'une fois la récolte effectuée, pendant un an ou deux ans successifs, la parcelle est abandonnée et la forêt y repousse
L'abattis sans dessouchage permet aux arbres de recroître sans hiatus important. Après une période d'abandon de nombreuses années, la parcelle sera de nouveau abattue et remise en culture. 15 à 17 ans semblent constituer une durée moyenne pour la jachère, mais des périodes plus longues (plus de 20 ans) sont fréquentes ; il n'est pas rare non plus que les agriculteurs abandonnent définitivement cette parcelle (on parlera alors d'une friche). Le système de l'agriculture forestière ne fonctionne que parce qu'il y a une jachère longue ; de plus, c'est un système auto-régénérant par le fait même de la jachère, qui permet au sol de reconstituer sa fertilité.
Cette phrase lue fréquemment dans les journaux, « les paysans détruisent la forêt équatoriale ; chaque jour 30.000 hectares partent en fumée », constitue une véritable tromperie : en même temps qu'il y a des arbres qui brûlent, il y en a d'autres qui repoussent, et cette phase-là n'est jamais mentionnée. L'agriculture forestière, gérée sans contraintes externes au système, n'est pas une agriculture destructrice »
Toutes les études botaniques et écologiques développées depuis une quinzaine d'années montrent que l'homme a transformé la forêt en la cultivant depuis plusieurs milliers d'années, sur tous les continents. L'agriculture itinérante sur brûlis fait partie de la dynamique de la forêt et son cycle fait partie de l'histoire des forêts.
Toutes les forêts du monde ont été parcourues par les hommes. Il n'y a pas de forêt vierge. En ce sens, on affirmera que les sociétés forestières, essarteurs et chasseurs-collecteurs confondus, font partie intégrante de l'écosystème forestier, qu'elles ont contribué à façonner au cours des derniers millénaires."
Le Système alimentaire des peuples de la forêt : le jardin et la collecte forestière
"Le deuxième point d'importance c'est que, dans tous les cas, les produits de l'agriculture ne forment qu'une partie du régime alimentaire, ils sont toujours complétés par les produits de la chasse, de la pêche et de la collecte. En schématisant, on dira que l'agriculture apporte les éléments lourds et les glucides, alors que la forêt fournit les protéines et les éléments qualitatifs de l'alimentation.
Toutes les sociétés dont on parle ici obtiennent leurs protéines animales des ressources sauvages. Par contre, dans tous les cas, l'élevage, réduit, remplit principalement des fonctions sociales, et sa participation à la diète est restreinte aux fêtes. Les peuples d'Amazonie pêchent et chassent activement, ceux d'Asie insulaire affichent une prédilection pour la pêche, ceux d'Afrique centrale pour la chasse. La collecte apporte des plantes alimentaires ou condimentaires (feuilles, tubercules, fruits, noix) mais aussi des insectes et petits animaux divers (larves, escargots, batraciens, etc.), avec une saisonnalité très marquée, ce qui en constitue d'ailleurs l'une des caractéristiques essentielles.
Ce style alimentaire mixte a des conséquences très importantes en ce qui concerne les territoires utilisés. L'agriculture itinérante nécessite, on l'a vu, des surfaces qui sont considérablement plus importantes que celles qui sont défrichées chaque année. En effet, une famille défrichant un hectare par an, avec une rotation agricole de 12 ou 17 ans, aura en fait besoin de 12 ou 17 hectares. Mais les activités de chasse et de collecte sont pratiquées en forêt non défrichée, au-delà des terroirs agricoles. Ainsi, toutes les familles utilisent des surfaces qu'on pourrait appeler des aires ou des territoires de parcours, qui correspondent aux lieux où elles vont périodiquement pêcher, chasser et effectuer des collectes saisonnières.
De ce fait, pour déterminer le territoire d'une société, on ne doit pas seulement prendre en compte les parcelles qui ont été défrichées, c'est-à-dire qui portent des marques de transformation, ce qui dans nombre de pays, est le seul critère pour leur reconnaître une propriété du sol. Il y a, à côté des surfaces cultivées, une surface encore plus importante que les gens ont besoin de parcourir pour obtenir les éléments de l'alimentation et de l'artisanat qui sont nécessaires à leur vie."
Les relations avec monde extérieur ont toujours existées
"À travers le temps, aucune de ces populations forestières n'est restée isolée à l'intérieur de la forêt, coupée du reste du monde ; aucune d'entre elles n'est autarcique, pas même les Pygmées ou les tribus reculées de la Nouvelle-Guinée. Toutes, depuis des millénaires, à des degrés divers, ont été incluses dans des circuits d'échanges, de commerce, de relations inter ethniques, par des voies complexes quelquefois sur de très longues distances, dans lesquelles les éléments de la forêt sont toujours présents.
De plus, il faut insister sur le fait que diverses catégories économiques coexistent dans une même région, qui donnent même souvent lieu à des associations d'ethnies complémentaires, durables et institutionnalisées.
Ainsi, des associations bien connues de chasseurs-collecteurs avec des agriculteurs (cas des Pygmées d'Afrique ou des Penan de Bornéo). Mais c'est aussi le cas d'ethnies spécialisées comme les pêcheurs en eau douce : il existe des associations complémentaires entre pêcheurs et agriculteurs tout le long des grands fleuves africains comme le fleuve Zaïre. De même, les grandes sociétés déjà hiérarchisées de la plaine inondable de l'Amazonie vivaient, jusqu'à ce qu'elles soient balayées par la Conquête, en association commerciale avec les populations de terres hautes qui les fournissaient en produits sauvages de la grande forêt.
Ces associations ont permis le développement à travers les siècles des grands réseaux de commerce à longue distance, destinés aux pays développés hors de la zone équatoriale. Ce fut le cas dans le bassin congolais avant l'implantation coloniale européenne (exportation vers l'Europe d'ivoire et de bois rouge à teinture - parmi de nombreux autres produits mineurs), et des réseaux de commerce d'Asie tropicale — rotin, copal et damar, ivoire, bois parfumés — entre les îles et le continent chinois, qui commence au moins au Ve siècle et persiste encore de nos jours (le voyageur chinois Tcheou Ta Kouan rapporte en 1296 que les populations des forêts du Cambodge fournissaient au Céleste Empire graines de cardamome, laque et cornes de rhinocéros). Les racines sauvages de salsepareille de l'Amazonie soignaient les syphilitiques d'Europe aux XVIIIe et XIXe siècles....
La forêt équatoriale n'a donc jamais été un « cocon » dans lequel les gens seraient restés enfermés en dehors de tout. C'est là un point très important. En conséquence, la plupart de ces sociétés sont monétarisées, elles connaissent l'argent et elles utilisent des produits de leur travail, que ce soit agriculture, récolte ou chasse, pour les vendre (sous forme brute, viande par exemple, ou transformée, artisanat) et en obtenir des biens."
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